20 novembre, journée internationale des droits de l’enfant.
Pour rappel :
Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE, Assemblée Générale des Nations Unies, 20 novembre 1989) article 20 §1 :
« Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’Etat. »
Observation générale n°6 du 1er septembre 2005 relative à l’article 2 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant :
« Les obligations qui incombent à un Etat en vertu de la Convention s’appliquent à l’intérieur de ses frontières, y compris à l’égard des enfants qui passent sous sa juridiction en tentant de pénétrer sur son territoire. La jouissance des droits énoncés dans la Convention n’est donc pas limitée aux enfants de l’Etat partie et doit dès lors impérativement, sauf indication contraire expresse de la Convention, être accessible à tous les enfants – y compris les enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants – sans considération de leur nationalité, de leur statut au regard de l’immigration ou de leur apatridie. »
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8h du matin, il fait froid, A. a rendez-vous pour une évaluation sociale à la Mission d’Accueil des Mineurs Isolés Etrangers du Conseil Général de l’Essonne qui permettra de déterminer s’il est ou non un mineur non accompagné (anciennement isolé étranger) et qui déclenchera ou non une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Il a peur. Il ne sait pas exactement où il se rend ni trop pourquoi il s’y rend. Il croit venir demander l’asile. Mais il a déjà demandé l’asile à Paris dit-il. Non, il s’est rendu au Dispositif d’Evaluation des Mineurs Isolés Etrangers géré par la Croix-Rouge où il s’est vu notifié d’un refus. Il n’a pas compris. Evidemment, il n’a pas compris, pourquoi devrait-il raconter son histoire pour prouver qu’il est mineur, ça n’a pas de sens… À vrai dire, plus rien n’a de sens, tout ce qui lui importe désormais c’est d’obtenir un toit et de pouvoir manger à sa faim, après avoir passé plusieurs jours à errer dans les rues de Paris.
A. a 15 ans, il arrive d’Afghanistan, seul. Il a quitté sa famille, sa maison, sa ville, son enfance, il a traversé mers et montagnes, voyagé à pied, en train, en bus ou caché à l’arrière d’un camion pour venir se réfugier en France. Ses raisons, elles nous importent peu, son histoire, elle nous regarde peu, ce qui compte aujourd’hui à cet instant c’est qu’il a 15 ans et qu’il est seul. Il a tout laissé derrière lui, tout ce qui constituait sa vie, pour une autre qu’on lui a promis bien meilleure mais qui tarde à se montrer. Ils sont nombreux, semblables à A., pour qui l’espoir, vendu au prix fort, s’est transformé en cauchemar. Ils déambulent, se laissent porter par les évènements, sans laisser de traces visibles, tant, qu’ils deviennent presque invisibles. Pourquoi ? Parce qu’il faut prouver son âge, il faut prouver l’isolement, la vulnérabilité, il faut rentrer dans une case dont les contours semblent insaisissables.
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La France, signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, se doit d’assurer la protection de tout enfant présent sur son territoire qui se trouve « temporairement ou définitivement privé de son milieu familial », sans distinction aucune. L’application de cette Convention pour ceux que l’on nomme les mineurs isolés étrangers (MIE) se traduit par la soumission à un régime dérogatoire au droit commun avec la mise en place d’un dispositif national spécifique.
Le corpus juridique qui encadre le régime s’appliquant aux mineurs étrangers non accompagné met en place un système lourd à plusieurs étapes au cours desquelles le statut du jeune peut à chaque fois être remis en cause. Celui-ci se retrouve alors soumis à une investigation longue et sinueuse pendant laquelle la crainte de se retrouver à nouveau dans la rue est constante.
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La première étape est constituée d’un entretien dit d’évaluation, qui doit permettre de statuer sur la minorité du jeune ainsi que sur son isolement. Le conseil départemental du lieu où le jeune MIE a été repéré ou s’est présenté, est responsable des actions de protection envers ce mineur dans le cas où sa situation serait estimée préoccupante. À noter qu’entre le moment où le jeune s’est présenté sur les lieux de l’institution responsable de son évaluation et la date du rendez-vous de la dite évaluation, qui avec la conjoncture actuelle peut durer parfois plus d’une semaine, une solution d’hébergement n’est pas toujours proposée.
Cet entretien d’évaluation est une étape extrêmement douloureuse pour le jeune qui se doit de dévoiler les détails les plus intimes de sa vie dans un contexte pesant et angoissant où chacun de ses mots pourra être utilisé contre sa prétention à être reconnu mineur isolé et où sa propre histoire devient une condition déterminante à l’obtention d’une protection qui lui est pourtant due.
Le rejet froid et mécanique de l’institution responsable prétextant « l’incohérence » du récit ou son caractère « lacunaire » et concluant sur l’absence « d’éléments tangibles permettant d’étayer la minorité et l’isolement » qui sont allégués apparait généralement dénué de motifs probants et témoigne d’une logique impersonnelle et itérative. Il est vécu par le jeune comme une remise en cause de sa réalité, de sa douleur, de ses besoins, de son passé, de sa vie, de sa propre existence.
Pour T., soudanais de 16 ans, grand timide au regard perdu, l’évaluation a abouti à un refus. Dans les bureaux, face à une inconnue, il a raconté chacun des détails de sa vie, la mort de sa mère, puis celle de son père, les violences de sa tante, son travail dans les champs, son désir d’aller à l’école inassouvi, sa fuite, ses quelques mois à travailler dans une mine d’or au Tchad puis sur les marchés en Lybie, la traversée en mer en direction de l’Italie, les longues heures de marche jusqu’à la frontière française, les nuits froides sur le béton, les journées le ventre vide marquées par l’ennui, son rêve d’étudier pour devenir médecin… Il s’est ouvert, s’est confié, a cherché chaleur et réconfort mais y a trouvé le rejet puis a retrouvé les nuits froides de la rue. La lettre de refus il la déchire et avec il rejette toute aide qui pourrait lui être apportée, la confiance est perdue, on ne l’y reprendra plus. Alors il préfère la rue, les hébergeurs solidaires il n’en veut plus de peur de s’attacher puis de ressentir l’abandon à nouveau. Son sourire a disparu, et avec, son appétit, il faudra plusieurs semaines avant qu’il accepte de quitter la rue et commence doucement à se remettre de ce traumatisme (qui s’ajoute aux autres déjà nombreux).
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La recrudescence des arrivées de jeunes en provenance du Soudan, du Tchad, d’Afghanistan, d’Erythrée, de Somalie, du Mali… s’inscrivant dans la crise migratoire actuelle et impliquant des flux de population en fuite de situations de conflits souvent intenables, a mis en lumière l’inadéquation et l’incapacité du système en place à gérer cet afflux. Si le problème lui n’est pas nouveau, le nombre incalculable de mineurs actuellement sans protection ne le rend que plus insupportable.
Au-delà de l’absurdité même d’un système dénué d’humanité qui par son rejet de la réalité migratoire impose à l’enfant/adolescent/jeune adulte une évaluation qui conditionne son droit à une protection, s’ajoute l’incompétence et l’ignorance de travailleurs sociaux pas toujours formés à l’accueil de ces publics et qui répondent à une pression mathématique qui veut limiter au maximum le nombre de jeunes pris en charge. Dans cette dynamique de l’ostracisme et du déni, l’absence de papier d’identité pouvant prouver celle du jeune devient un frein majeur à la reconnaissance du statut de mineur isolé étranger, bien qu’elle ne demeure aucunement une justification légalement acceptable à la non-reconnaissance de ce statut. Quand bien même le jeune disposerait d’un papier d’état civil, l’authenticité du document est systématiquement questionnée et sa qualité de preuve automatiquement refusée. Alors qu’il est souvent impossible pour ces jeunes de se procurer un justificatif d’identité, l’acharnement de l’institution à obtenir un papier témoigne déjà d’une méconnaissance totale du milieu dont sont issus certains.
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À la suite de ce rejet, deux possibilités de recours s’ouvrent au jeune. Le premier, le recours gracieux auprès du Président du conseil général (ou du chef de bureau de l’aide sociale à l’enfance selon le département) demandant un réexamen a très peu de chance d’aboutir. Le second, la saisine directe du juge des enfants, apporte des résultats très aléatoires selon les positions du juge qui se saisit du dossier. Mais surtout, commence alors une longue période d’attente de plusieurs mois où le jeune ne dispose légalement d’aucune reconnaissance et ne peut prétendre à aucune aide pas même à un hébergement puisqu’il ne pourra pas non plus bénéficier des aides ouvertes aux majeurs. Son existence juridique est en quelque sorte niée par le système et il ne peut alors compter que sur la bienveillance de citoyens solidaires qui accepteront de l’héberger pendant la durée de la procédure s’il est assez chanceux. Dans la rue, il fait face à tous les dangers, en plus du froid et de la faim s’y ajoutent la violence, les trafics, la pédophilie et la prostitution.
En pratique, en cas de rejet, une autre solution s’offre au mineur. Il peut se présenter pour une évaluation dans un autre département potentiellement plus accueillant qui fera l’impasse sur sa première évaluation ou s’abstiendra d’effectuer une investigation à la recherche d’une possible évaluation préalable. En effet, selon les textes, le jeune ne peut bénéficier que d’une seule évaluation, le dispositif étant national, un seul département peut être responsable de l’évaluation du jeune. Pourtant, la pratique diffère selon les départements et le jeune ne dispose pas des mêmes chances de prise en charge selon le lieu où il se présente. Certains départements refusent de jouer le jeu et ne prévoit simplement aucun accueil pour les MIE allant parfois jusqu’à refuser d’appliquer les mesures prises par le juge des enfants. D’autres se trouvent rapidement débordés par les arrivées massives de jeunes qui se passent le mot ou sont, pour des raisons géographiques telle que la ville de Paris, rapidement assaillis. En outre, les contours de l’entretien qui doit permettre un premier accueil ne sont pas clairement définis par la loi ce qui produit à nouveau des pratiques inégales.
Le département parisien, surchargé, a choisi de rejeter en masse les MIE de son système de protection. Pourtant, une répartition territoriale existe et bien que son fonctionnement ne soit pas toujours assuré, elle devrait permettre d’éviter l’engorgement des établissements parisiens. Mais surtout, la surcharge du système ne peut motiver le refus de protection alors que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » dans toutes les décisions administratives et judiciaires qui le concernent. Au contraire, elle devrait justifier la demande d’une augmentation des moyens qui font souvent défaut afin de permettre un accueil convenable de ces jeunes.
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Cette évaluation, si elle aboutit à une réponse positive, se traduit par une « mise à l’abri » qui ouvre en réalité à une nouvelle période d’évaluation. Le jeune est alors pris en charge, hébergé et nourri. Pendant cette période, qui en principe doit durer au maximum cinq jours, le comportement du jeune est décrypté par les travailleurs sociaux afin de déterminer à nouveau, car le doute et la suspicion semblent être de rigueur, si le jeune est bien mineur et isolé.
R., Egyptien de 15 ans, particulièrement débrouillard et déterminé, a « réussi » son évaluation, il a passé la première étape et est pris en charge. Sa « mise à l’abri » ? Une chambre d’hôtel, au fin fond du département de la Seine-Saint-Denis, seul, aucune indication géographique pour se déplacer ni titre de transport et seulement quelques chèques restaurant. Désormais, son isolement est plus qu’avéré. Pour occuper ses journées, il travaille au black, il fait de la peinture. Difficile de savoir comment une évaluation de son comportement peut être effectuée dans ces circonstances, ou peut-être s’agit-il d’évaluer s’il parviendra à se débrouiller seul ?
À l’issue de cette seconde évaluation, le conseil général saisit le parquet qui, en accord avec les conclusions du département, peut déclencher une ordonnance de placement provisoire (OPP) ou simplement mettre fin à la mise à l’abri et remettre le mineur à la rue (qui devra alors se tourner vers le juge des enfants pour un recours). Cette OPP est suivie d’une saisine du juge des enfants qui pourra prendre une mesure d’assistance éducative permettant un placement plus stable. Si l’évaluation n’a pas permis de statuer sur la situation du jeune, le département peut poursuivre les investigations durant l’OPP pendant une période de 8 jours après quoi le parquet peut décider d’un classement sans suite et à nouveau remettre le mineur à la rue ou saisir le juge des enfants. Mais là encore, s’il est estimé que la situation du jeune n’est toujours pas clarifiée, les investigations peuvent être poursuivies après le déclenchement de la mesure d’assistance éducative et entrainer à terme la mainlevée de la mesure en cas de non reconnaissance de la minorité et de l’isolement. Cette procédure d’une complexité inouïe et ces investigations continues ont pour objectif de contester la véracité des déclarations du jeune ainsi que l’authenticité des documents présentés et sont le témoin incontestable d’une politique du non-accueil et d’une volonté délibérée d’exclure ces jeunes du système de protection.
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Pendant cette période d’attente, la situation du jeune est particulièrement précaire et soumise aux aléas de l’administration française. M. par exemple, ayant bénéficié d’une OPP, est placé en foyer, sa convocation chez le juge est envoyée à la maison des solidarités qui oublie tout simplement de la lui remettre. Absent à son audience, la fin de son placement est prononcée par le juge, il est remis à la rue immédiatement sans qu’il ait eu une chance de se défendre. Il disparait dans la nature.
Cette période d’attente signifie aussi que pour le jeune qui se croit définitivement protégé et commence à s’intégrer dans son nouveau milieu de vie, les choses peuvent basculer très rapidement et la rue n’est jamais très loin, de même qu’un nouveau traumatisme d’abandon.
H., 15 ans, arrivé du Soudan, le visage marqué, une voix presque inaudible, se présente à Lyon et est mis à l’abri immédiatement. Il s’y plait, y apprend le français, se fait des amis et se remet progressivement des épreuves qu’il a vécues. Au terme des investigations, sa minorité et son isolement ne sont pas reconnus, non pas pour des raisons sociales avérées qui justifieraient ce rejet, mais parce que l’existence d’une évaluation effectuée par le département de Paris et ayant abouti à un rejet a été retrouvée. Il est immédiatement remis à la rue, sans aucune protection. Pourtant rien dans son comportement, dans ses traits physiques ne permettait de douter de sa minorité et de son isolement, il fallait seulement trouver une raison « valable » à son exclusion du système.
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La confirmation d’une mesure d’assistance éducative et la reconnaissance du statut de mineur isolé étranger n’est pas pour autant synonyme de soulagement pour le mineur non accompagné. Bien que le jeune se retrouve désormais soumis au droit commun de la protection de l’enfance, il doit encore faire face à un système inadapté qui ne prend encore une fois pas en compte la situation particulière des MIE. La scolarisation devient rapidement un parcours du combattant pour des jeunes qui pourtant ont souvent pour unique désir d’aller à l’école.
W. 16 ans, a quitté le Tchad pour échapper au travail forcé et avec l’objectif d’être scolarisé en Europe. Il ne sait ni lire ni écrire, ce qui provoque chez lui un terrible manque de confiance en soi. Et pourtant, son désir brûlant d’apprendre le consumerait presque. Le regard fuyant et les mains tremblantes, il n’en est pas moins déterminé à aller à l’école. Aujourd’hui, cela fait deux mois qu’il a bénéficié d’une mesure d’assistance éducative prononcée par un juge des enfants du Tribunal de Bobigny et qu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance. Cette prise en charge s’est pour le moment concrétisée par le placement dans un hôtel isolé, sans indications sur les transports et les commerces environnants. W. se nourrit exclusivement de sandwichs, les options alimentaires offertes par la vie en hôtel étant fortement limitées. À l’approche de l’hiver il n’a pas même un pull, n’ayant pas su se procurer de vêtements chauds dans un pays où il ne maitrise pas la langue. L’unique contact avec l’institution responsable de sa protection se produit toutes les deux semaines à l’occasion d’un rendez-vous avec son éducateur qui lui remet une petite somme devant lui permettre de se nourrir, de se vêtir et de se déplacer. Deux mois qu’il attend, deux mois qu’il s’ennuie, s’interroge, la frustration est de plus en plus grande et l’école devient pour lui une obsession. À un tel point qu’il décide de ne plus rencontrer son éducateur tant que celui-ci ne lui aura pas trouvé une école, quitte à ne plus recevoir d’argent et donc à ne plus pouvoir se nourrir. Lorsqu’il parvient finalement à obtenir des explications, on lui apprend que l’absence totale de justificatif d’identité rend son inscription dans un établissement particulièrement difficile. L’absurde touche alors son paroxysme et il lui est tout bonnement suggéré de se procurer de faux papiers. Pourtant il est bien là, il se tient devant son éducateur, il a été reconnu mineur isolé étranger, il a le droit à une protection et le droit d’être scolarisé. Mais avant de pouvoir exister dans la vie réelle, il faut exister sur le papier, sans identité administrative, on est rien.
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Pour le jeune qui a été reconnu mineur isolé étranger, le répit est de courte durée. S’il dispose désormais d’un toit et de repas quotidiens, il lui faudra sans cesse prouver son identité et sa bonne volonté. La mesure d’assistance éducative prononcée par le juge des enfants est généralement valable pour une période d’un an renouvelable. Si le juge estime que le mineur non accompagné n’a pas respecté les termes de son placement, il pourra décider de ne pas renouveler la mesure. Pour des jeunes placés en hôtel sans aucune indication, convoqués à des rendez-vous auxquels ils ne savent pas se rendre et relativement livrés à eux-mêmes, il devient difficile de prouver sa bonne volonté. Ces derniers sont rapidement accusés de ne pas jouer le jeu et laissés de côté.
À sa majorité, le jeune devra entamer des démarches en vue de sa régularisation, sans garantie qu’elles aboutissent, et qui seront d’autant plus difficiles s’il avait déjà un âge avancé au moment de la reconnaissance de son statut. Certains rejoindront alors la longue liste des travailleurs sans-papiers qui font pourtant vivre le pays.
Dalia Frantz